Le legal design : une posture d’ouverture pour ré-imaginer les services juridiques
Temps de lecture : 7’30 – Marie-Agnès Fages, 20 juillet 2020
Pourquoi le legal design ?
Pourquoi les professionnels du droit devraient-ils s’intéresser au legal design ?
Le monde du droit et de la justice vit de nombreux bouleversements…
Juristes, avocats, notaires, magistrats sont confrontés aux phénomènes suivants :
- la complexification du droit : des règles toujours plus nombreuses et parfois même, contradictoires.
- impact du numérique sur les métiers du droit : les avocats seront-ils, dans un futur plus ou moins proche, remplacés par des robots ? La justice sera-t-elle algorithmique ?
- une forte augmentation de la demande en conseil juridique
- l’obligation faite aux professionnels du droit de faire toujours plus avec toujours moins.
Dans un monde si changeant et si bousculé, comment s’adapter aux mutations à l’œuvre et répondre au mieux aux besoins des clients et des justiciables ?
Depuis de nombreuses années, le design thinking est utilisé avec succès dans le monde entier, dans tous les secteurs imaginables, pour stimuler l’innovation et améliorer les produits et services.
Le droit est, jusqu’ici, resté un peu à l’écart de cette influence. Dans un contexte de profonds bouleversements, l’industrie juridique commence néanmoins à s’intéresser au legal design.
Qu’est-ce que le legal design et quels sont les bénéficies liés à son utilisation ?
Qu’est ce que le legal design ?
Une méthode d’innovation, celle du design thinking, utilisée sur la matière juridique.
Démocratisé par l’agence américaine IDEO dans les années 1990, le design thinking s’inspire de la pensée et des méthodes des designers pour permettre à des équipes multidisciplinaires d’innover en mettant en correspondance la désirabilité des utilisateurs, la faisabilité technique et la viabilité économique.
Le design thinking s’appuie sur trois concepts fondamentaux :
- l’humain au centre de toute réflexion ;
- l’intelligence collective ;
- l’expérimentation.
L’utilisation de la méthodologie du design thinking sur la matière juridique a en premier lieu été explorée aux Etats-Unis. Le legal design a été théorisé en 2014 par Margaret Hagan de l’Université de Standford.
La discipline est encore émergente et sa définition n’est pas encore tout à fait stabilisée.
The Legal Design Alliance définit le legal design comme une approche pluridisciplinaire et anthropocentrique permettant de prévenir ou résoudre des problèmes juridiques.
« Le legal design est une approche globale qui combine l’expertise des juristes et des designers en transférant les schémas de pensée de ces derniers sur des questions juridiques [ ].
Astrid Kolmeier (avocate et consultante en legal design basée à Munich)
On le perçoit au travers de ces définitions,
le legal design ne se réduit pas à une simple
mise en image de l’information juridique.
Proposer une visualisation de l’infor-mation juridique peut être extrêmement efficace mais n’est pas toujours la solution la plus adaptée pour aider l’utilisateur de droit à mieux s’approprier la matière juridique.
La première démarche consiste donc
à s’interroger (via la méthodologie
du design thinking) sur les besoins de l’utilisateur.
Qui est-il ? Comment vit-il l’expérience juridique proposée ? Quels problèmes rencontre-t-il ? Quels sont ses besoins sous-jacents ?
Que permet le legal design ?
Le legal design permet de découvrir des solutions nouvelles en s’appuyant sur l’intelligence collective du groupe et sa créativité.
La méthodologie est utilisable à plusieurs niveaux.
Elle permet de repenser, au regard de l’objectif d’intelligibilité du droit :
• une note, un contrat ;
• un service, une prestation ;
• une organisation ;
• et pourquoi pas, un système dans son entier.
À quoi ressemble en pratique une approche de legal design ?
L’exemple d’un cabinet d’avocats souhaite vérifier que le modèle de convention d’honoraires qu’il utilise est adapté à sa clientèle.
Imaginons un cabinet d’avocat spécialisé en droit de la famille qui utilise le modèle de convention d’honoraires mis à sa disposition sur le site du Conseil National des Barreaux. Le cabinet souhaite vérifier que le document est adapté à sa clientèle.
Il réalise, en premier lieu, une enquête utilisateur.
Modalités de l’enquête utilisateur | |
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Date du test | Novembre 2019 |
Document testé | modèle de convention d’honoraires en matière de divorce par consentement mutuel (modèle CNB) |
Nombre de personnes interrogées | 10 personnes |
Durée de l’entretien | 30 min |
Tranche d’âge des participants | 35-55 ans |
CSP et niveau d’éducation des participants | très variés |
Méthode | entretiens filmés non dirigés |
Question posée | Que pensez-vous du document ? |
Résultats de l’enquête utilisateur |
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L’enquête utilisateur révèle que les clients ont souvent le sentiment que l’avocat pourrait les filouter car ils ne peuvent pas réellement jauger du temps qui sera nécessaire pour traiter leur affaire. C’est donc avec une certaine défiance que les clients prennent connaissance de la convention d’honoraires. Quant au document lui-même, 50 % des personnes interrogées le trouvent excessivement long et difficile à lire tandis que 25 % le trouvent concis. Toutes les personnes interrogées buttent sur des termes tels que : « débours » et « assurance de protection juridique ». Par ailleurs, certaines personnes font remarquer que l’honoraire est indiqué hors TVA, alors qu’un prix global serait plus utile. |
Sur la base de cette enquête utilisateur, l’équipe pluridisciplinaire composée d’avocats et de designers synthétise le problème à résoudre de la manière suivante : comment pourrions-nous améliorer le lien de confiance au travers de la convention d’honoraires ?
L’objectif étant, in fine, d’améliorer l’image de marque du cabinet, de fidéliser la clientèle et d’essayer de faire des honoraires un sujet moins sensible.
Lors d’une séance de créativité, l’équipe est invitée à générer le plus grand nombre d’idées de solutions au problème posé. Les idées les plus « étranges » ou radicalement différentes sont encouragées.
Après une séance de vote destinée à prioriser les idées, l’équipe réalise un premier prototype.
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Ici, l’équipe décide de réaliser un résumé de la convention d’honoraire en utilisant la technique du « langage juridique clair ».
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Ce afin de répondre à deux des difficultés rencontrées par les utilisateurs :
• inintelligibilité de certains termes contenus dans la convention d’honoraires (débours », « assurance de protection juridique ») ;
• longueur rebutante du document.
D’après une étude menée par la Commission européenne en 2016, des conditions générales de ventes raccourcies et simplifiées sont considérées comme plus fiables et sont mieux perçues.
Le langage juridique clair est donc également utilisé dans l’objectif d’améliorer la perception que les clients pourront avoir de la convention d’honoraires.
Une fois le résumé en langage clair réalisé, ce prototype est au plus vite testé auprès des utilisateurs. L’objectif étant d’être le plus possible connecté au terrain et aux utilisateurs et de rester dans une logique d’amélioration continue.
Synthèse des travaux réalisés sur la convention d’honoraires
Pour s’aider dans la mise en oeuvre de sa démarche de legal design, l’équipe s’appuie sur un outil méthodologique : un legal design canva.
La synthèse figurant ci-dessous des travaux menés sur la convention d’honoraires est extraite du legal design canva.
Pour aller plus loin : découvrez le legal design canva conçu par l’agence Legal by Design :
https://www.legalbydesign.fr/2020/09/03/legal-design-canva-explique/
Quels sont les objectifs du legal design ?
Mieux comprendre le contexte et les besoins des personnes qui interagissent avec le droit et créer des améliorations et des innovations basées sur ces connaissances.
Lorsqu’ils rédigent leurs contrats, conclusions, notes, les professionnels du droit le font généralement en fonction des critères d’excellence fixés par leur profession : travail sur mesure, rigueur du raisonnement, exactitude et précision des termes. Curieusement, peu de professionnels se posent la question de savoir si l’utilisateur a bien compris l’information, s’il a pu s’en approprier rapidement le contenu, ou si l’information donnée était adaptée à son besoin.
Le legal design vise à rendre l’utilisateur de droit plus autonome et plus à même de contrôler la complexité de ses affaires juridiques. Il vise également à aider le professionnel du droit à mieux pratiquer le droit et à servir ses clients de manière plus adaptée et plus efficace.
Les outils du legal design
Le legal design utilise de nombreux outils pour parvenir aux objectifs précités. Sans que cela ne soit exhaustif :
Langage juridique clair
« Le langage clair, c’est parler pour que tout le monde nous comprenne et non pas utiliser un langage et des termes hermétiques qui ne sont connus que des initiés du droit. C’est aussi une marque de respect envers les citoyens et les clients qui doivent utiliser le système de justice.
(Barreau du Québec « Le langage clair : un outil indispensable à l’avocat », Barreau du Québec, 2010, p. 8).
Le langage juridique clair
est utilisé en réponse à la complexité du langage juridique.
Pour en savoir plus :
vidéo de la conférence TED « let’s simplify legal jargon » sous-titrée en français (Alan Siegel)
Graphisme
Infographies, schémas, logigrammes permettent de visualiser de façon holistique :
• les actions à mener
pour atteindre un objectif
• les options juridiques possibles
Le graphisme est donc une réponse à la complexité des processus.
Référencement
Le référencement (ou SEO pour Search Engine Optimization)
Le SEO est le processus permettant d’améliorer la visibilité d’un site web dans les résultats des moteurs de recherche, dans l’objectif d’attirer du trafic sans payer pour la publicité.
Une fois la recherche des internautes effectuée, 92% des clics se font sur la première page de résultat des moteurs. Très peu iront chercher au-delà de ces premiers résultats pour trouver l’information recherchée.
Les contenus juridiques de qualité ne sont pas si faciles à trouver sur le web. Cela est étonnant lorsque l’on sait que les français se tournent prioritaire-ment vers l’information en ligne pour trouver une réponse à leurs questions juridiques.
Le référencement peut donc s’avérer utile afin d’améliorer l’accessibilité du droit.
Des exemples pour s’inspirer
et aider les utilisateurs de droit à mieux naviguer
dans le système juridique
Exemples de langage clair :
La justice abandonne le “considérant que”
Depuis le 1er janvier 2019, les juridictions administratives utilisent un nouveau mode de rédaction de leurs décisions afin de les rendre plus compréhensibles à un public plus large, sans rien sacrifier de leur qualité.
L’adoption de ce nouveau mode de rédaction fait suite à plusieurs années de réflexion et d’expérimentation.
Elle s’est, par exemple, traduite par l’abandon de formule centenaire “considérant que” introduisant les paragraphes.
Des conditions de services en langage clair
La direction juridique de Typeform, une société spécialisée dans la création de formulaires en ligne, a choisi de présenter ses conditions de services sous 2 formes :
• une version longue (11 pages) incluant le jargon juridique,
• une version non contractuelle en langage clair : 5 pages pour faciliter la vie des utilisateurs et inspirer confiance.
Autres exemple d’outils :
Composition visuelle
Une infographie pour voir en un clin d’oeil
les 3 principales étapes permettant d’améliorer la gestion de ses mots de passe.
Podcast juridique
Dans un monde saturé d’images, le podcast rencontre un succès grandissant. L’exemple du podcast juridique du cabinet Barhtélémy Avocats.
Formulaire
Formulaire permettant d’exercer en ligne ses droits Informatiques et LibertésLa direction juridique d’un assureur-vie permet à ses clients d’exercer en ligne leurs droits informatique et Libertés.
Quels sont les bénéfices du legal design ?
Dans un monde très changeant, le legal design permet aux professionnels du droit de cultiver une posture d’ouverture et de mieux percevoir les évolutions du marché du droit.
Plus de visuels, moins de jargon, plus d’attention portée à l’utilisateur de droit,
les bénéfices du legal design sont nombreux :
> meilleure perception du professionnel du droit,
> meilleure application de ses recommandations,
> renforcement du lien de confiance avec les clients internes ou externes,
> réduction du risque de contentieux,
> renforcement de la cohésion au sein de l’équipe juridique.
Notes bas de page
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